La Libye face à la débandade du clan Assad
La Libye face à la débandade du clan Assad
LETTRE DU MAGHREB. La Russie, soutien historique du régime syrien, accélère son désengagement. La Libye sera-t-elle son plan B ?
Par Benoît Delmas
Publié le 08/12/2024 à 11h10
L’Histoire, éternel recommencement ? Les noms d’Alep, Homs, Damas résonnent à nouveau comme un rappel du Printemps arabe et de la lutte contre Daech. Le sanglant dossier syrien connaît un tournant, avec la chute imminente du clan Assad au pouvoir depuis 1970. « Une nouvelle réalité, politiquement et diplomatiquement », selon les propos du président turc, Recep Tayyip Erdogan, samedi soir.
Le raid surprise des forces nationalistes islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS) sur les bastions du régime Assad, que sont les villes d’Alep, Hama et maintenant Homs, provoque un électrochoc. Vendredi, les autorités russes demandaient à leurs ressortissants de quitter le pays, l’Iran faisant de même, ainsi que la plupart des pays occidentaux, États-Unis en tête. La dynastie alaouite Assad ne vacille plus, elle sombre. Son clan a pris la fuite : la femme et les enfants de Bachar al-Assad sont en Russie, ses beaux-frères aux Émirats arabes unis.
Bassam al-Sabbagh, le ministre syrien des Affaires étrangères, a dénoncé des « interférences régionales et internationales » qui « divisent le pays ». Assertion saisissante tant la Syrie des Assad est devenue l’étoile noire de la région. La Russie y a construit un port et un aéroport qui sont cruciaux pour la circulation du matériel et des forces russes vers la Libye.
La chute programmée de Bachar al-Assad a été provoquée par la Turquie qui a donné le feu vert aux rebelles d’HTS, leur permettant en dix jours de doubler la superficie des territoires qu’ils contrôlent en Syrie. En abdiquant son soutien à Bachar al-Assad – le départ de camions, chars et autres logistiques militaires a été constaté hier –, le Kremlin acte sa priorité : l’Ukraine. Cette débandade permet d’envisager une recomposition de la situation en Libye et, plus tard, au Sahel. Le pan Est libyen, sous la férule du clan Haftar père & fils, a pactisé avec le régime de Vladimir Poutine pour asseoir son pouvoir en échange d’une présence accrue des soldats russes. La Libye est la porte d’entrée au Sahel. Lors du dernier sommet du G7, les ministres des Affaires étrangères ont fait une déclaration commune « déplorant les activités nuisibles de la Russie en Libye qui sapent la souveraineté libyenne et la sécurité régionale », appelant « au départ des combattants étrangers, mercenaires, dans les plus brefs délais ».
La Libye entre Turquie et Russie
La chute de Bachar al-Assad ravivera les feux mal éteints du Printemps arabe, tout autant qu’elle provoque des feux d’artifice de joie dans les villes syriennes où l’armée a fui devant les rebelles. La Libye, écartelée par le jeu de puissances extérieures, connaît deux centres de pouvoir : l’un à l’ouest du pays, Tripoli, l’autre à l’Est. Le pays est un géant en pétrole et en gaz, situé stratégiquement au centre de l’Afrique du Nord, face à l’Europe, partageant des frontières avec six pays dont deux sahéliens, le Niger et le Tchad.
La Russie s’engouffre dans un chaos qu’elle a contribué à fabriquer (avec la Turquie, les Émirats arabes unis…). Peu à peu, l’armée russe, secondée de Wagner, prend pied dans l’Est libyen, fief du maréchal Haftar et de sa famille. Sur le port de Tobrouk, on s’affaire, on établit un début de base navale. Le matériel débarqué prend ensuite la route pour le centre du pays, puis une partie vers le Niger et bientôt le Tchad. La Russie veut consolider un véritable hub qui alimentera ses ambitions en Afrique, du Mali jusqu’à la Centrafrique. Car son revers en Syrie – ses forces s’étant révélées incapables de seconder l’armée d’Assad – pourrait lui coûter sa base navale de Tartous et sa base aérienne de Hmeimim. Un repli total vers la Libye serait un tournant dans la reconfiguration de la région, d’autant que Donald Trump, qui prendra ses fonctions en janvier, a écrit samedi : « Ce n’est pas notre conflit ».
Dernier point : la Turquie est la puissance la plus influente à l’ouest de la Libye. Et c’est précisément le président Erdogan qui a donné le feu vert aux forces d’HTS pour faire tomber Damas et son allié russe. Deux solutions : une négociation d’envergure et une redistribution de « qui contrôle qui » dans la région, ou un affrontement. Moscou a montré de sérieux signes de faiblesse en Syrie. La Libye pourrait être son plan B.