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Massacre de Thiaroye: discours du Président Bassirou Diomaye Faye

Massacre de Thiaroye: discours du Président Bassirou Diomaye Faye.

Excellences, Messieurs les Présidents Mohamed Ould Cheikh EL GHAZOUANI de la République islamique de Mauritanie, Président en exercice de l’Union Africaine, AZALI Ansoumani de l’Union des Comores, Adama BARROW de la République de Gambie, Umaru Sissoko EMBALO de la République de Guinée-Bissau, Brice Clotaire Oligui NGUEMA de la République Gabonaise,

Mesdames, Messieurs les Chefs de délégation, Monsieur le Premier ministre,

Monsieur le Président de la Commission de la CEDEAO,

Mesdames, Messieurs les ministres et Secrétaires d’Etat,

Mesdames, Messieurs les membres du corps diplomatiques,

Autorités administratives et locales,

Monsieur le Président et les membres du comité de commémoration du 80ème anniversaire,

Mesdames, Messieurs les descendants des familles des tirailleurs sénégalais,

Distingués invités,

Chers concitoyens,

Mesdames et Messieurs,
Avant tout propos, je voudrais vous remercier chaleureusement mes chers frères Présidents GHAZOUANI, AZALI, BARRO, EMBALO et NGUEMA d’avoir bien voulu rehausser de votre présence cette première édition de commémoration de l’histoire tragique qui s’est déroulée ici à Thiaroye, il y a quatre-vingts ans maintenant, malgré vos agendas chargés.

Je remercie tous nos hôtes et leur souhaite un agréable séjour au Sénégal.

A travers vous, je salue vos peuples respectifs. Votre présence remarquée à nos côtés, est le symbole fort de votre attachement à l’histoire que nous partageons.

Grande est mon émotion en cette date et en ce lieu qui nous parlent, où des Héros africains sans défense, armés de courage, de dignité et de fraternité africaine ont été froidement abattus. Il s’agissait là d’un massacre.

80 z’ans après ce crime de masse, le silence de Thiaroye est toujours aussi assourdissant. Les murmures venus d’outre-tombe, nous interpellent avec fracas, pendant que l’ampleur de ce crime demeure minimisée et souvent même niée par certains milieux des héritiers de ceux qui l’ont commis.

Sur cette terre blessée de Thiaroye, résonnent encore les rafales sifflant au bout des canons, comme pour rappeler que l’horreur est toujours là. Entière. Immortelle.

Des profanes comme beaucoup d’entre nous, jeunes et moins jeunes, se poseraient la question de savoir de quoi s’agit-il exactement ? Tellement la chape de plomb était fermement posée depuis très longtemps pour tenter de rayer cet épisode fâcheux de notre histoire.

Il s’agit d’africains en majorité arrachés à leurs terroirs contre leur gré pour aller combattre au service de l’Empire colonial français d’alors. Ils formaient le Régiment des Tirailleurs Sénégalais.

Ils venaient de presque tous les territoires coloniaux français d’Afrique occidentale, équatoriale et de l’Est devenus au moment des indépendances dix-sept pays. Ils étaient du Benin, du Burkina Faso, du Cameroun, des Comores, du Congo, de la Côte d’Ivoire, de Djibouti, du Gabon, de la Guinée, de Madagascar, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, de la République Centrafricaine, du Sénégal, du Tchad et du Togo.

Longtemps ignorés et banalisés, ces tirailleurs ont pourtant bravé toutes les épreuves pour aller combattre très loin de chez eux.

Des conditions de voyage éprouvantes, (entassés dans les cales des bateaux), aux champs de bataille où ils ne portaient que des tenues simples sans défense jusqu’en 1943 quand les américains les équipèrent, les tirailleurs ont tout sacrifié.

Ils ont donné de leur jeunesse, de leur sang et de leur chair pour la liberté et la paix dans le monde.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Malgré les pertes énormes sous les balles nazies, les faits d’armes du régiment des tirailleurs sénégalais sont incontestables et ont grandement contribué à la victoire des alliés. Qu’il s’agisse, entre autres, de la libération de la Tunisie, du débarquement à l’ile d’Elbe, de la libération de Toulon et de celle de Paris, ils ont tenu leur rang en combattant de manière acharnée parfois jusqu’au sacrifice suprême pour conquérir une localité ou tenir une position.

Ils méritent tous les honneurs, notre respect et notre admiration.

Mais la suite de l’histoire est à l’inverse de ces immenses sacrifices consentis. A la place d’éloges et de reconnaissance, l’ordre fut donné de neutraliser ceux qui avaient enduré la ségrégation dans les prisons allemandes et la rigueur de la captivité.

L’irréparable se produisit le 1er décembre 1944 ici à Thiaroye quand le Général Dagnan ordonna de tirer sur des innocents désarmés dont le seul tort a été de réclamer le paiement de leurs indemnités, primes et autres allocations.

C’était là un acte prémédité, visant à réprimer des revendications légitimes, à dissuader d’autres et à perpétuer l’ordre colonial.

Le crime fut commis et les faits sont incontestables. Voilà le sort qui a été réservé à certains qui ont contribué à écrire dans le sang et la sueur, la glorieuse histoire de la libération.

Aujourd’hui, par devoir de mémoire, de vérité et de justice, nous ne pouvons oublier l’horreur des exécutions sommaires au camp de Thiaroye.

Il est impératif de rappeler l’histoire, toute l’histoire, sans trou de mémoire. C’est ce qui fonde l’essence universelle des valeurs de paix, de liberté et d’égale dignité attachées à la nature humaine.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Toutes ces raisons ont renforcé notre conviction de commémorer l’anniversaire du massacre de Thiaroye pour, d’une part, rendre hommage aux victimes et graver leur mémoire dans notre conscience collective et, d’autre part, jeter les bases de la restauration de la vérité historique en mettant fin à l’omerta sur cet épisode tragique voulu et entretenu par l’autorité coloniale.

Ce faisant, il ne s’agira pas d’une porte ouverte pour susciter le ressentiment, entretenir la colère ou la haine. Non !

Ce que nous faisons ici relève du devoir de mémoire contre l’oubli et pour la manifestation de la vérité des faits, pour nous acquitter d’une dette morale vis-à-vis des tirailleurs et de leurs familles. C’est pourquoi, nous avons mis en place un comité international de chercheurs indépendants pour aider à la reconstitution exacte des faits et à une meilleure connaissance de cette séquence de notre histoire partagée avec la France.

Pour faciliter les travaux de recherches, j’ai sollicité du Président de la République Française la mise à disposition de tout document d’archive pouvant contribuer à la manifestation de la vérité, et leur collaboration, le moment venu, dans la localisation des sépultures et d’identification éventuelle des victimes.

Je salue l’ouverture des autorités françaises actuelles qui ont accédé à notre requête pour la manifestation de la vérité.

Ainsi, avant cette commémoration, des membres du comité international de chercheurs se sont rendus en France et ont eu des séances de travail avec les autorités françaises et les responsables des sites où sont présumées gardées les archives manquantes. Les recherches se poursuivront après la commémoration.

La France vient également de franchir un pas important dans la restauration de la vérité grâce au Président Emmanuel MACRON qui m’a adressé une lettre, il y a trois jours, pour assumer que les évènements de Thiaroye en 1944 ont abouti à un massacre.

Je salue son courage moral.

Par ce geste, la France accède à une veille et légitime demande de reconnaissance.

Il s’agit d’une avancée appréciable dans le processus de réhabilitation de l’honneur et de la dignité des tirailleurs victimes, à la suite de la déclaration du Président François HOLLANDE au cimetière de Thiaroye le 30 novembre 2014, « saluant la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les français avaient retourné leurs fusils ».

Toutefois, il reste encore beaucoup de zones d’ombre de cette histoire notamment le nombre exact de tirailleurs exécutés.

Deux rapports contradictoires des autorités coloniales parlent de 35 et 70 morts pendant que d’autres témoignages évoquent des centaines de morts et de nombreux blessés.

Les archives réclamées permettront d’après les chercheurs de savoir comment on en est véritablement arrivé à la tragédie de Thiaroye ; d’avoir une lecture plus fidèle de l’état d’esprit des tirailleurs rapatriés, de leur nombre exact, de leur identité et leurs origines, des lieux où ils sont enterrés, des épreuves endurées, des frustrations et humiliations subies, ainsi que du montant de ce qui est dû à chacun.

Ce travail est complexe. C’est pourquoi je lance un appel aux acteurs étatiques et non étatiques de tous les pays concernés, y compris la France, aux historiens et chercheurs de tous bords, afin de joindre nos efforts pour porter un regard lucide sur cet épisode sombre de notre histoire commune.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Identifier les victimes et situer les responsabilités est essentiel pour ouvrir la voie à une réconciliation sincère.

C’est l’occasion pour moi de rendre un vibrant hommage à tous les africains et non africains qui se sont toujours battus pour que l’histoire des Tirailleurs et du massacre de Thiaroye soit préservée de l’oubli et de la falsification.

Je pense aux précurseurs, aux hommes et femmes politiques, intellectuels, écrivains, poètes, cinéastes, artistes et bonnes volontés, personnes physiques ou morales.

Sans la synergie de tous ces efforts, le combat pour la justice et la vérité n’aurait pas prospéré. Mais cette vérité exige encore d’être pleinement révélée, transmise et reconnue. Nous devons encourager cette dynamique pour restaurer la mémoire et la dignité des tirailleurs sénégalais.

Pour ma part, j’initierai plusieurs mesures de réappropriation d’une partie de cette histoire commune avec 16 pays africains frères :

Premièrement : un mémorial en l’honneur des Tirailleurs sera érigé à Thiaroye pour servir de lieu de recueillement et de mémoire, ouvert à toutes les nations dont ils étaient originaires, ainsi qu’au public.

Deuxièmement : un Centre de Documentation et de Recherche dédié aux Tirailleurs sera érigé pour conserver la mémoire. Ce centre recueillera des archives, témoignages et récits, tout en soutenant la recherche et l’éducation autour de cette histoire partagée.

Troisièmement : des Rues et des Places porteront le nom de cet évènement tragique, de ces soldats pour inscrire leur sacrifice dans notre quotidien et notre histoire collective.

Quatrièmement : l’histoire de Thiaroye et des Tirailleurs sera enseignée dans les Curricula Éducatifs. Ainsi, les générations futures grandiront avec une compréhension approfondie de cette épisode de notre passé.

Cinquièmement, la journée du Tirailleur est désormais fixé le 1er décembre de chaque année, jour de la commémoration du massacre de Thiaroye.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L’histoire de la guerre et des répressions armées n’est jamais ordinaire. Elle est rarement racontée de façon intégrale. Ce fut le cas de la seconde guerre mondiale et surtout ses conséquences dans les colonies qui connurent des répressions innommables : Thiaroye 1944, Sétif et Guelma, en Algérie 1945, Hanoi et Haiphong au Vietnam 1946, Madagascar 1947, Douala, au Cameroun ou Dimbokro, en Côte d’Ivoire 1948-1949 et bien d’autres lieux.

Chacune de ces histoires tragiques vit en nous par l’exercice mémoriel. Ce qui nous rend fiers et reconnaissants envers nos anciens combattants.

Rendre hommage à ces tirailleurs, ce n’est pas seulement pleurer nos martyrs. C’est porter leur combat et en faire un levier pour réinventer nos rapports avec nous-mêmes, avec notre histoire, et avec les héritiers de ceux-là qui ont été les auteurs de la tragédie.

C’est dire au monde que les tirailleurs sénégalais n’étaient pas des mercenaires, mais bien les défenseurs d’une dignité humaine universelle. C’est proclamer haut et fort que cette dignité, si longtemps bafouée, ne sera plus jamais sacrifiée sur l’autel du silence et de l’oubli.

Le massacre de Thiaroye est une blessure, mais il est aussi une leçon. Une leçon qui nous enseigne que la fraternité, l’unité et le refus de l’oubli sont les armes les plus puissantes dont disposent les peuples libres pour écrire leur avenir.

Que cette commémoration, 80 z’ans après, ne soit pas qu’un moment de recueillement. Qu’elle soit un serment renouvelé. Un serment de justice, un serment de mémoire, un serment de vérité. Pour que, jamais plus, Thiaroye et les évènements similaires ne se répètent, sous aucune forme, nulle part dans le monde.

Nous honorons aujourd’hui des héros. Et en les honorant, nous nous rappelons que nous avons nous-mêmes un devoir : celui de leur être fidèles. Fidèles à leurs valeurs, à leur combat et à leur vision d’un monde plus juste.

Ensemble, œuvrons pour la vérité historique restaurée du massacre de Thiaroye, pour la justice, la liberté et la dignité pleine et complète !

Je vous remercie de votre aimable attention.

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