Au Sénégal : Les réfugiés, entre amertume et détresse
Pays voisins, le Sénégal et la Mauritanie ont été minés, en 1989 et 1991, par un conflit qui a opposé, au départ, les populations riveraines le long du fleuve Sénégal. La crise a entrainé la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays pendant plusieurs années et causé des dizaines de milliers de victimes dans les deux territoires. Elle a poussé des milliers de Mauritaniens, notamment des Noirs, principalement des Peulhs, de part et d’autre, à un exil forcé. ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre de ces réfugiés, 30 ans après cet incident communément appelé ‘’évènement des Maures’’.
La commune de Richard Toll fait partie des zones nord qui abritent encore des réfugiés peulhs négro-mauritaniens poussés à l’exil, après l’éclatement de la crise sénégalo-mauritanien, en 1989. Contrairement à la croyance populaire, ces derniers parlent plutôt d’un conflit raciste dans leur pays, entre les Maures blancs, les Maures noirs minoritaires et les Peulhs. Dans ce reportage, certains d’entre eux racontent leur supplice, leur intégration au Sénégal, comment ils sont laissés à eux-mêmes, etc. Reportage.
Contrée située dans la commune de Richard Toll, Thiabakh est un des sites de recasement des réfugiés mauritaniens installés au Sénégal, à la suite de l’éclatement, en 1989, du conflit sénégalo-mauritanien communément appelé ‘’évènement des Maures’’. Logé à environ 1 km de la ville, sur cette piste sablonneuse, les charrettes restent le moyen de transport le plus sollicité par les habitants pour la navette, même si les voitures de taxi ‘’clandos’’ empruntent aussi le même itinéraire. Nous nous sommes rendue dans ce site, le 29 août dernier, vers 18 h.
C’est l’heure de la descente pour les travailleurs et les femmes. Sur la route, l’atmosphère est gaie. Les gens sont pleins d’entrain. On rit aux éclats, on se taquine à bord des charrettes qui font la course pour arriver la première. Mais, peu à peu, notre charretier s’éloigne de cette ambiance pour emprunter une autre piste qui mène au domicile du président de la Coordination départementale des réfugiés de Dagana. Dans les ruelles, on aperçoit quelques habitants. Le décor est tout autre. Ici, quelques bâtiments en dur commencent à sortir de terre au milieu des huttes en paille.
Assis au milieu de la cour de sa concession, sur un lit en bambou, Hamet Dia se confie. A travers son regard et sa voix, on peut ressentir son amertume. ‘’Je n’aime pas parler de l’évènement. Parce que cela ne fera que réveiller de mauvais souvenirs dans nos cœurs. Ce que nous avons vécu là-bas est si atroce qu’il vaut mieux ne pas en parler. Ne parlons pas de ce que nous avons subi. C’est mieux comme ça’’, lance le chef du site de Thiabakh 3, le cœur serré, la voix étreinte par l’émotion. Il se tait un moment avant de poursuivre son récit.
Le natif des années 60 était agriculteur à Rosso et travaillait avec les Chinois. Au fil des années, il a réussi à se construire une maison et fonder un foyer. ‘’Depuis l’éclatement de la crise, je n’y suis jamais retourné. J’ai des proches qui sont encore là-bas. Ce n’est pas un problème de papiers. C’est juste que je n’ai plus confiance. Parce que ce qui nous a poussés (le racisme) à quitter cette zone existe toujours. Personne ne nous reconnait là-bas. Les Maures blancs ne considèrent pas les Maures noirs. Ils nous prennent pour des esclaves et font de nous ce qu’ils veulent. Nous n’avons aucun droit là-bas’’, fait-il savoir.
D’après lui, même avec des études poussées, ils ne sont pas considérés par les autorités étatiques. ‘’Avoir la peau noire est signe de servitude. Or, nous sommes des Mauritaniens bon teint, depuis nos ancêtres, et ceci tout le monde le sait’’, renchérit-il.
Le président de la Coordination départementale des réfugiés de Dagana estime que la Mauritanie ‘’n’est pas’’ un pays stable. ‘’Tout le monde a vu ce qui s’est passé avec la dernière Présidentielle. Certes, nos conditions de vie ne sont pas des meilleures, mais nous nous en remettons au Tout-Puissant. Toutefois, il y a des réfugiés qui préfèrent retourner en Mauritanie, souffrir le martyre plutôt que de rester ici’’, renseigne-t-il. M. Dia fait savoir que, récemment, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a envoyé des représentants à Richard Toll, pour des enquêtes. L’objectif d’une telle opération était de les informer qu’ils veulent rapatrier les réfugiés qui le souhaitent. Car ils vont présenter les dossiers au nouveau gouvernement et négocier le retour au bercail. ‘’On a encore signé les dossiers qui ont été envoyés. Nous restons à l’écoute’’, narre notre interlocuteur.
En désespoir de cause, ils se contentent de leur vie au Sénégal
Toutefois, le porte-parole des réfugiés de cette localité précise qu’ils n’espèrent pas ‘’grand-chose’’ du gouvernement mauritanien. Tout ce qui leur tient à cœur, aujourd’hui, est la reconnaissance de leur nationalité mauritanienne, leur appartenance à ce pays. ‘’La Mauritanie doit comprendre que les Noirs, que ce soit les Peulhs, les Wolofs, etc., sont aussi des Mauritaniens. L’histoire révèle même que les Maures noirs ont été les premiers à s’installer en Mauritanie. Tout est écrit noir sur blanc. Le pays nous appartient également. Vu qu’aujourd’hui ils sont dans un système démocratique, avec des élections, il faut qu’ils fassent leurs devoirs et reconnaissent aux citoyens leurs droits, comme le veut un système démocratique’’, plaide-t-il.
Ainsi livrés au désespoir, ces réfugiés appellent l’Etat du Sénégal à être plus tolérant et à reconnaitre leurs droits et devoirs. ‘’Nous n’avons certes pas de droits à réclamer, mais le gouvernement sénégalais a des devoirs envers nous. Même sur le plan religieux, l’Etat a ce devoir de protection. Parce que nous vivons ici depuis 30 ans’’, soutient-il.
En effet, si ces réfugiés mauritaniens n’ont plus aucun espoir de lendemains meilleurs, c’est qu’au fil des années, ils se sont sentis laissés à eux-mêmes. Hamet Dia explique que, pendant les premières années de leur installation au Sénégal, les autorités étatiques et le HCR prenaient soins d’eux. Ils leur donnaient des ravitaillements, des vivres. ‘’Nous aussi, nous ne nous contentions que de ceci. Quelque temps après, ils ont arrêté les vivres pour nous allouer de l’argent et former les réfugiés pour une qualification. C’est en 1995 qu’ils ont cessé définitivement de nous distribuer des ravitaillements. L’octroi d’argent n’a pas duré. Ils l’ont fait juste pendant 3, voire 4 ans’’, narre-t-il. Et cet argent était réservé exclusivement aux femmes. Ils leur allouaient à chacune un montant de 50 000 F CFA sous forme de prêt. Elles remboursaient au bout d’un mois, avec 500 F d’intérêt sur chaque 5 000 F CFA. (…) Chaque mois, elle servait 5 000 F CFA jusqu’à l’épuration de la dette.
Terres données puis retirées
Et comme le dit l’auteur breton Maxalexis dans son livre ‘’Je rêve d’une autre vie’’ paru en 2002 : ‘’En amour, les débuts sont toujours inoubliables, la fin laisse parfois à désirer.’’ Ces réfugiés ont vécu des moments inoubliables, à leur arrivée au Sénégal. Ils recevaient, fréquemment à cette époque, la visite de délégations étatiques. Aussi bien les ministres et les responsables en charge de l’état civil venaient de temps en temps s’enquérir de leurs conditions de vie. ‘’Abdou Diouf a fait beaucoup d’efforts dans ce sens. Il avait donné des instructions qu’on attribue des terres aux chefs de GIE des réfugiés qui étaient dans les communautés rurales. Nous avons bénéficié, à l’époque, de 2 ha et c’était mon grand frère qui était le chef de notre GIE. Et il a distribué ces terres aux membres de la famille. On donnait 2 ha à 5 personnes’’, renseigne-t-il.
Cependant, ce n’est pas tous les réfugiés qui en avaient bénéficié. C’était uniquement ceux qui étaient membres d’un GIE. Dans le département de Dagana, après le recensement qu’il a fait, M. Dia rapporte que c’est uniquement 5 familles qui en avaient profité. Malheureusement, ces terres leur ont été retirées, au bout de deux années d’exploitation. A la question de comprendre le pourquoi, il fait savoir que ‘’ce n’était pas du tout des dons’’. Faute de terres et de papiers reconnus, ces Maures se lancent dans le petit commerce.
Usman Aïdara : ‘’Nous revivons les images de ces moments comme un film’’
Avant de se rendre à Thiabakh, nous avons fait un tour au marché de Richard Toll où beaucoup de Maures mènent leur commerce. Ici, personne ne souhaite s’adresser à la presse sur la question. Certains nous demandent d’aller voir leur porte-parole Usman Aïdara. Ce dernier n’est pas un Maure noir, mais il fait partie des commerçants mauritaniens résidant à Richard Toll, depuis 1976. C’est le président de leur association. Malgré sa familiarité avec les Sénégalais, il a été obligé de retourner à Rosso-Mauritanie, pendant l’évènement des Maures. C’est après que les choses se sont calmées qu’il est revenu.
‘’Personne ne peut oublier un évènement aussi tragique. Nous revivons les images de ces moments comme un film. Et ça passe. Il y a des gens qui en ont souffert. Certains ont perdu leurs biens. Cependant, c’est rien comparé aux pertes en vies humaines. On n’aime pas trop s’en souvenir. Cette histoire est déjà derrière nous. C’est Dieu qui y en avait voulu ainsi’’, se contente-t-il de dire.
Selon lui, beaucoup de Maures ont quitté la Mauritanie, après l’éclatement de cette crise, pour s’installer à Richard Toll. Aujourd’hui, ils se sentent plus à l’aise au Sénégal qu’en Mauritanie. Leur propre pays leur est devenu étranger. ‘’Personnellement, mes proches sont en Mauritanie et ils sont bien nantis. Ils ont des projets et je n’aurais aucune difficulté pour trouver de l’emploi. Mais moi, je suis plus à l’aise ici. C’est le pays que j’admire. C’est pourquoi dès qu’ils ont rouvert les frontières après la crise, je suis revenu continuer mes activités. Au fait, je fais facilement fortune ici’’, confie-t-il derrière son comptoir.
Néanmoins, il signale que certains réfugiés veulent retourner en Mauritanie pour s’y installer. Alors que pour d’autres, c’est juste pour avoir des papiers, bénéficier de ces privilèges et revenir. ‘’Beaucoup de réfugiés ne peuvent plus vivre au Mauritanie, parce qu’ils ont réalisé des choses ici et s’ils retournent en Mauritanie, ils vont repartir à zéro pour reconstruire leur vie. J’ai vu plusieurs personnes embarquées par le HCR pour un retour. Mais elles n’ont pas perdu du temps ; elles sont revenues aussitôt’’, révèle Usman Aïdara.
Il est interrompu par un des clients qui vient acheter du sucre et du thé. ‘’Qu’est-ce que tu expliques sur la Mauritanie ? Tu n’es plus mauritanien, tu es sénégalais !’’, lance ce dernier en souriant. ‘’Le Sénégal est un pays de paix. J’ai fait la Libye et beaucoup d’autres pays d’Afrique. Mais ce qu’on a au Sénégal, on ne l’a nulle part. Je me demande si vraiment les Sénégalais en sont conscients. Ici, les gens sont joviaux. Dans les services publics, on ne peut pas distinguer les Sénégalais des étrangers. Si on a un problème, on va à la police ou à la gendarme, c’est réglé, sans aucune discrimination. Franchement, la ‘’téranga’ est une réalité au Sénégal’’, poursuit le boutiquier.
Usman Aïdara est venu à Richard Toll très jeune. Aujourd’hui, il a soufflé ses 55 ans et fait savoir qu’il n’a jamais eu de malentendu avec les Sénégalais. Ils vivent en harmonie. Ses enfants sont nés, ont grandi et obtenu leurs diplômes à Richard Toll où il a construit sa maison.
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